Les contorsions de la Banque Centrale Européenne
Face aux conséquences de la crise financière et la préférence continue des dirigeants européens pour l'austérité budgétaire, la Banque Centrale Européenne, seule institution supra-nationale en mesure d'assumer le rôle d'autorité budgétaire fédérale, a été contrainte de financer le déficit de des États-membres. C'est une violations de l'esprit des dispositions sur le financement des déficits publics du traité de Lisbonne bien sûr mais elle n'a pas vraiment le choix — sans le soutien de la BCE aux budgets nationaux, le système de l'Euro aurait éclaté depuis longtemps.
Pour mémoire, l'article 143 du traité de Lisbonne :
- Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées "banques centrales nationales", d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.
Et l'article 145 :
- L'Union ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. Un État membre ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique.
C'est à travers le SMP (Securities Market Program), plus tard encore élargi par les mesures d'assouplissement quantitatif (la mesure PSPP), que la Banque Centrale achète de la dette publique sur le marché secondaire, éliminant ainsi le risque d'insolvabilité des États-membres et fixant les taux de la dette publique.
Pour désamorcer les critiques de la Bundesbank et compagnie soulignant la violation de l'article 143, les partisans des mesures de soutien ont développé un argumentaire jurique peu convaincant et mis en place quelques restrictions. La première interdit à la BCE de détenir plus de 33% de la dette d'un pays donné. La seconde restriction met en place un système de quotas où les achats de dette publique par les banques centrales nationales ne peuvent pas dépasser un montant proportionnel à la taille de l'économie du pays. En pratique, cette limite est ignorée dans des proportions croissantes.
Il reste que le cadre mis en place par ces restrictions rend la poursuite du programme d'achat de dette de plus en plus difficile et met en doute la crédibilité des mesures d'assouplissement quantitatif voulues par la BCE. Une issue rationnelle serait bien sûr de lever ces restrictions arbitraires et de modifier le Traité de Lisbonne pour permettre à la BCE de remplir pleinement son rôle d'autorité monétaire. Au regard du contexte politique et idéologique de la zone Euro, c'est peu probable. On s'achemine plutôt vers plus de contorsions administratives, juste suffisantes peut-être pour faire tenir ce système boîteux jusqu'à la prochaine crise.